J’avais des heures d’archives douteuses sur tout ce qu’il m’était donné de voir. Dans chaque plan, je retrouvais mon reflet déformé dans les vitres des voitures.
(AKIM GAGNON, Granby au passé simple)
J’ose pas réécouter ces enregistrements-là parce que je sais qu’ils vont me faire de la peine. Ben, je pense qu’ils vont me faire de la peine...
Je catche pas pourquoi je me suis enregistrée ? C’est ça, l’affaire. Enregistrée, sur mon cell ! Saoule, en revenant à pied dans l’hiver qui commençait din les rues pis qui était déjà ben entamé dans mon corps pis ma tête pis mon lit ma vaisselle mon divan mes céréales le sourire figé de mes ami☻s qui compatissaient donc ben. C’est le genre de moment tellement pas glorieux dans une vie, pourquoi m’être dit que j’avais envie, à ce moment-là, de m’en souvenir ? Je comprends(-ish) pourquoi on se filmait dans nos partys à seize ans, mais pourquoi m’enregistrer VOCAL sur Bellechasse en me trainant les pieds dans la vie qui m’arrive malgré moi 1? Je suppose là, parce que je sais pas ce que je me dis dans mon message. D’abord, c’est-tu considéré comme un message ?
À qui est-ce que je m’adresse ?
Je me dis-tu salut au début ?
Je sais pas.
Je me suis réveillée ce lendemain-là ben ben poquée pis je me suis rappelé que j’avais parlé au téléphone en revenant. Je suis allée vérifié : aucun appel... C’est là que je me suis souvenu et que j’ai pu constater : deux enregistrements d’environ une minute trente chacun.
J’ai pas eu le guts de m’écouter. Chu-tu polie avec moi-même ? Je me prends-tu avec des pincettes ou bien si je vais direct au gros stock ?
Je comprends pas mon réflexe, je suis même pas capable de prendre un selfie en me prenant au sérieux, d’où m’est venue l’idée de m’enregistrer ? Ce que j’ai peur de trouver triste, c’est si je me rends compte que je voulais peut-être juste parler à quelqu’un pis qui était trop tard. Ou que je voulais pas déranger. Ça me fait de la peine, ça aussi, d’avoir tellement tout le temps peur de déranger.
Je marchais pour revenir du party de trente ans de mon collègue. Mon ami, je veux dire. Je m’étais saoulée parce que j’étais stressée. C’était la première fois qu’on était ami☻s en dehors de la job. Ça a marché, j’étais saoule et pas trop stressée. On s’est serré☻s dans nos bras, on a dansé sur du reggaeton : tout le kit de début d’amitié. J’ai jasé pas mal avec une de ses tantes qui a des enfants de mon âge. Ben smatte. J’ai mangé beaucoup de Cheetos aussi. Une belle soirée. J’adore les Cheetos. Alex est un de mes collègues préférés, j’étais heureuse d’avoir été invitée, parce que c’est même pas comme si le gars avait tellement pas d’ami☻s que son chum s’est senti obligé de m’inviter, non non. Le gars a ses ami☻s pis moi en bonus. Je pense que mon collègue ressent les mêmes émotions que moi face à nos shifts ensemble, qu’il est aussi emballé que moi quand on se voit sur l’horaire genre. Avoir moins l’impression de travailler, en travaillant avec Alex. On soupe souvent ensemble et il me supplie toujours de rester pour un verre de plus après mon shift.
Je me souviens, en me rendant, j’étais comme : « Wow je suis donc ben the shit, on m’invite à un party de fête de trente ans wow simonak, ça roule mes affaires ! Trente ans, aye, super mature, ouais, je suis rendue là. Je suis tellement spéciale, je suis tellement heureuse, les circonstances se créent, les événements se présentent, je suis une fée du logis et la reine du party, la preuve ? Je retourne faire le plein au dép avant que ça ferme, ayoye, living the life en esti ! »
Un bon collègue.
Un ami en devenir.
Un ami devenu.
C’est le genre de truc auquel tu t’accroches han, quand t’as le feeling que t’as rien d’autre à quoi t’accrocher ?
Next thing you know t’es tellement tuseule que tu te parles à toi-même sur ton cell en marchant tout croche en revenant chez vous.
Ouais. Living the life.
Je marchais pour dessaouler et je me suis laissé un message dans mes enregistrements vocaux.
J’ai des regrets.
PEUT-ÊTRE QUE ce que je dis, c’est lumineux et plein de bons sentiments envers moi-même. Peut-être que je parle de la météo et du fait que ma soirée était trop géniale, peut-être que je parle de la tante d’Alex qui a des enfants de mon âge. Peut-être. J’ai juste des petits doutes, c’est tout. Parce que je me souviens que ça goûtait le vomi dans le fond de ma gorge.
Qu’est-ce qu’on se dit, qu’est-ce qu’on ressasse ?
Ça doit dépendre du mood, ça dépend toujours du mood. Est-ce qu’on s’encourage quand on se murmure à soi-même en s’enrageant dans nos pieds ? Est-ce qu’on se dit les mêmes choses que quand on se brosse les dents, le soir ou ben c’est plus comme quand on se brosse les dents, le matin ? Est-ce que mes pensées iraient vite comme quand je me parle en conduisant fâchée, monologue intérieur de rage au volant spontanée, ou plus lentes, comme mes pas à ce moment-là de retour vers la maison-glaçon où le lit gris m’attend? De quoi je pouvais ben vouloir me souvenir, dans cette marche avec moi-même, en chialant sûrement que le trottoir est pas à niveau ?
Est-ce que j’ose tout me dire si y’a des chances que je me réécoute ? Est-ce que je me serais dit plus d’affaires si j’avais su que je me réécouterais jamais ? Est-ce que je me donne des leçons ? Je pense que si j’avais confiance qu’il y ait des chances que je me trouve drôle, je m’écouterais sans hésiter, je serais comme fière d’être drôle dans mon plus croche. Esti qu’on aime ça rire, han ? Y’a plus de chances que je réécoute ce souvenir-là de moi à moi si y’a des chances que je ris que si y’a des chances que j’en apprenne un peu sur mon petit mou, sur mon souffle court dans l’hiver, sur mon état d’esprit dans ce moment-là, sur des trucs que j’oserais peut-être même pas normalement dire à voix haute. Me dire wow, OK je pensais pas que j’me disais ça dans ces mots-là à ce moment-là. J’ai cheminé, j’ai pas cheminé, j’ai compris, j’ai pas compris.
NON JE VEUX RIRE, MOI !
JE VEUX RIRE ET FAIRE RIRE ET BRAILLER APRÈS PARCE QUE LA KEKLOWN EST TRISSE, pis fatiguée, pis qu’a l’a peur de déranger.
Mais quand je vais brailler, je veux que personne me voit, personne m’entende, même pas moi-même. Surtout pas moi-même. Faudrait pas que j’me doute que j’vais pas bien, sinon ça me ferait de la peine.
Une des affaires qui me rend triste, quand je suis triste, c’est de penser que je suis la seule à l’être. Pis je me convaincs. Je me dis : « Voyons donc, t’es tellement triste, personne est triste de même, dans’ vie ! R’garde-toi donc être triste. En plus tu plaques dans la face… » Ça ajoute une belle tite couche d’huile ben ben glissante sur ma pente descendante de baboune. Ça revole, ouais !
Laurie m’a dit l’autre fois : « Sois plus douce avec toi-même ». J’étais comme…« Ouais ouais. Je m’haïs pas non plus là ». Je catchais pas ce que ça voulait dire. Pis tranquillement, ça a fait son chemin.
Si j’étais la seule personne à être triste sur la Terre, qu’est-ce que ça pourrait ben crisser ? Rassembler et transposer toute cette rage que j’ai à me voir être triste envers autre chose que moi-même, ça se peut-tu ça ? On jase là. Chus comme « je dors pus », sérieux, ça a peut-être à voir avec le fait que j’ai les dents serrées à’ journée longue parce que je dors pus ? J’sais pas ? Je dis « Je m’haïs pas » comme on dit « Salut ça va ».
Sérieux je devrais juste dire « Ouais je suis rough avec moi, je m’haïs, mais c’est correct, j’ai le droit, je me pardonne de m’haïr de même et même si ça fait longtemps que je m’haïs je pense que ça se peut de moins m’haïr, je vais me border ce soir en m’haïssant et je vais me dire oh la la que je m’haïs aujourd’hui, je m’haïrai peut-être aussi demain, mais sérieux j’aurai fait de mon mieux aujourd’hui pis encore demain. Pis si mettons j’étais la seule seule seule seule seule sur la Terre entière à brailler, qui a son tabarnak de mot à dire là-dessus ? Han ? »
Je ferme la lumière et réalise que j’ai pas lu un traiître mot du livre que je tenais, trop occupée à me maudire. Meh.
Je suis retournée dans mes fichiers audio pour m’écouter dans ma marche sur Bellechasse.
Je peux pas dire que j’ai été surprise.
J’aurais dû m’en douter.
J’ai réalisé que j’avais supprimé les enregistrements.
Je sais pas quand, j’ai aucun souvenir de ça, mais c’est fait.
Une des moi qui existent en moi a pris la décision pour moi.
Les enregistrements existent plus, j’ai plus accès à cette moi-là.
Pourtant, où j’en suis aujourd’hui, j’aurais aimé m’entendre, me comprendre, me pardonner, peut-être, même.
M’écouter quand j’en avais l’occasion.
La vie ne m’arrive jamais malgré moi, mais je me dis que oui, ça m’aide à pleurer.