Je ne veux plus dormir. Alors, j’écoute de la musique. Ah! C’est ma chanson préférée.
(THIERRY COURTIN, T’choupi n’a plus sommeil)
Écrire, sans avoir quoi que ce soit à dire. Élargir la perspective de chiller en famille, entre ami·es, sans but précis, à ma pratique littéraire. Quand on me demande de parler de mes livres, j’en parle toujours comme d’un projet littéraire. Y’a pas une histoire, y’a pas une morale, y’a un projet de dire, de partager. Je veux voir ce qui va sortir, sur le coup, de même, sans prévoir. Au lieu de me voir comme un citron qu’on presse et qui a pu de jus à offrir, essayer de me voir juste comme je-sais-pas moi, une veste le fun à porter. Qui performe rien. Rassasie personne. Ravive aucune flamme. Être là. Au complet parzemp. Complet-complet. Fixer le vide, assise sur le même divan que quelqu’un que j’aime. Sauter des étapes et passer tu-suite au bout juste-juste avant de partir, quand la conversation s’étire, la main sur la poignée de porte. Je t’ai-tu dit ça?
Quand on allait bruncher chez mes grands-parents, tous les dimanches, il me semble que personne dans le char prévoyait ce qui allait s’y dire, les jeux qu’on y jouerait, les messages qu’on tenterait de transmettre. Juste. Être. Là. Ensemble. Denrée rare. Perdue? Manger-jaser-remettre les bottes-quitter. Je fais moins souvent ça. Ça me manque. Si je vois quelqu’un que j’aime, c’est prévu des jours à l’avance et comme ça arrive pas souvent, je me sens mal si on va pas deep and delicious dans les conversations. Pourtant, les moments où mon chum est juste étendu sur le sol avec notre bébé qui joue autour ou qui lui grimpe dessus, j’avoue qu’on se dit absolument rien de profond et je doute jamais que c’est un moment appréciable. Bon j’appelle mon chum mon chum comme j’appelle mon bébé mon bébé, mais je te jure qu’ils ont des noms.
Je peux concevoir qu’on s’attende de moi que je sache bien parler de moi-même. J’écris, je fais généralement ce qu’on considère être de l’auto-fiction.
Pourtant, parler de moi, ça me donne mal au cœur. Je sautille sur ma chaise. Je suis inconfortable. Je veux que ça cesse. Rapidement. C’est comme si on me grattait à la même place pendant trop longtemps. Le supplice de la goutte se résume en Sur quoi tu travailles en ce moment? Je veux niaiiiiseerrrr, je veux riiiiire, je m’en chrisstreeeee d’avoir l’air immature. Je suis matsssure, j’ai un loyer, des responsabilités, j’utilise tout mon jus de sérieux pour ces affaires-là. Àctheure surprends-moi avec une imitation d’un idiot qui sait pas débarquer de son vélo. Ou bien faisons rien ensemble pendant quelques temps. Tout sauf me demande de parler sérieusement.
Cet automne, j’ai suivi un atelier de littérature illustrée avec Juli Delporte et j’ai réalisé plusieurs choses en huit séances. Premièrement, j’ai bcp de difficulté à rester assise longtemps. Avec des inconnu·es. Sans parler. Ça prend de la pratique que je n’ai plus. Mais surtout surtout surtout : je trouve ça péééénible de pas toujours pouvoir faire des jokes. Mes belles et bonnes joookkkes que j’adooooore. Je sais qu’à un certain point, c’est un problème. Je l’ai réalisé. J’ai fait le travail de concentration, de mise en contexte et de réflexion. Il faut savoir que je suis la première à me dire Voyons, il sait pas être sérieux? quand quelqu’un monopolise la conversation en craquant des blagues non-stop. Donc, bien sûr, je me la retiens. Je me la zippe. Je me la zap zap. Je dois jouer le jeu de l’adulterie. Les autres autour sont sérieux. Ou ont l’air, du moins. Moi je respire fort, j’essaie de ravaler mon fou rire que je me suis provoqué toute seule avec moi-même. Je dois me concentrer sur autre chose. Boire les mots de Juli. Me trouver hot d’être avec Juli. Je voudrais pas décevoir Juli. Mais Julie et moi nous nous connaissons, je pourrais bien me laisser un peu aller, Juli comprendrait ma petite rigolade, aller, juste détendre un peu l’atmosphère, mais Lily, l’atmosphère n’est pas tendu, il est un temps pour chaque chose c’est juste que toutes les choses que tu connais sont nounounes et ridicules. Je saiiiiiis, j’adore ça. Ahhhhhhhhhh. D’autres apprennent à leurs enfants à faire des beaux yeux, le mien sait faire la grimace. No joke. Et je le valorise beaucoup quand il la fait. BRAVOOOOO mon amouuurrrrr Hihihihihihihihihihihhhi
Mais coudonc, est-ce que je cache un terrible secret que je veux être certaine de jamais partager alors je me cache sous le couvert de la rigolade? Est-ce que c’est ça qui va me péter dans la face le temps? Est-ce qu’on assistera à ma descente aux enfers de la prise de conscience que je suis un vieux fruit mûr passé date qui veut faire du jus avec ce qui lui reste de pulpe, mais qui autrement n’a plus rien à offrir? Ai-je peur de laisser entrevoir mon noyau? Est-ce que j’ai l’impression que je dois être drôle pour qu’on m’aime? Pourtant, je connais plein de gens qui ne sont pas drôles et je les aime quand même. Je peux même les nommer :
Oh.My.God… mais… non. Je me tiens avec personne qui ne soit pas très drôle. Est-ce que je sais seulement communiquer en farces et attrapes? Suis-je une grosse keclown sur son unicycle pognée à faire tourner des ballons sur son nez?
En fait, c’est l’inverse. Les personnes sans humour, je les fuis comme la peste. Elles m’effraient. Je comprends pas la langue qu’elles parlent.
C’est peut-être ce qui me sauve du marasme. La glue. Le surplace. Ma capacité à rire de tout? Je pense souvent à quitter les réseaux sociaux, je l’ai déjà fait, je suis revenue parce que j’aime annoncer les projets sur lesquels je travaille, en faire la promotion, même si j’ai l’impression que mon travail est l’équivalent d’une poignée de sable sur l’autoroute glacée et dangereuse qui s’étale à perte de vue devant moi. Où je m’en vais avec ça? Nulle part. Je passe le temps. Je chill sur le divan. J’apprécie mon expérience terrestre. Dan est venue jaser sur mon divan l’autre fois et m’a confié le secret. Chaque soir, je veux pouvoir me dire que je peux mourir demain, que ça peut avoir été ça, finir de même. Or moi, même quand ma journée finit en queue de poisson, je me couche toujours une bonne blague au bec. C’est ma couleur, la trame sonore de ma vie.
Bye
j'aime l'idée de s'engager dans quelque chose/un texte en se laissant surprendre, sans savoir exactement où on va, le découvrir au fil du temps